Allocution de M. Denis Maillat
recteur
C'est le 15 octobre 1995 que le nouveau rectorat, présidé par le professeur F.
Persoz, est entré en fonction. C'est donc le protocole qui exige que je me présente
encore à vous aujourd'hui pour remettre solennellement la chaîne rectorale
à mon successeur. Vous en conviendrez, il est inconcevable qu'un tel acte se
déroule dans l'intimité. Il faut que la transmission ait lieu en pleine lumière afin
que le futur enchaîné accepte son sort publiquement avec reconnaissance.
Mais avant de lui transmettre les symboles du pouvoir, je vais demander à mon
successeur un peu de patience. En effet, je n'aimerais pas vous quitter, Mesdames
et Messieurs, sans vous faire part de quelques réflexions.
Le rectorat, que j'ai présidé fut un rectorat d'austérité. Comme économiste, j'ai
d'emblée été pris au piège de la définition que R. Barre donne de l'économie
politique: science de l'administration des ressources rares dans une société
humaine.
Dès mon entrée en fonction, les circonstances étaient telles qu'il ne servait à rien
de chercher une autre définition. Le réalisme commandait de considérer la rareté
des ressources financières comme une donnée.
Certes, nous avons constamment rappelé aux autorités compétentes qu'une université
ne peut accomplir ses tâches sans moyens financiers, d'autant que l'on
considère que l'éducation et la formation sont les meilleurs leviers de la prospérité
de notre pays. Lors des discussions budgétaires, nous n'avons pas été des
proies faciles.
Mais, nous avons également choisi de considérer qu'il ne suffit pas qu'une université
dispose de moyens pour être performante. Il faut aussi qu'elle sache
redéfinir et adapter ses objectifs. L'Université ne peut plus tout simplement se
contenter d'être l'Université. Elle doit se fixer des objectifs, les formuler clairement,
les faire reconnaître et les accomplir. Elle doit être attentive à son environnement
et pratiquer en permanence l'ouverture. Ce sont les constatations sur
lesquelles nous nous sommes appuyé pour déterminer la politique de notre
recto rat.
J'aimerais aujourd'hui rappeler quatre aspects de la politique que nous avons
menée.
Premièrement, nous avons considéré que l'Université doit rester attentive au
changement non pas pour répondre aux effets de mode, mais parce qu'elle est
un maillon essentiel de la «chaîne éducative». En effet, dans cette chaîne elle
joue un rôle déterminant dans la diffusion des connaissances et des nouvelles
technologies.
Certes, l'Université doit conserver sa spécificité, qui est d'être mémoire, mais
elle ne doit jamais oublier qu'elle doit être le siège d'initiatives permettant
d'anticiper et de domestiquer l'avenir. Elle doit de ce fait établir des partenariats
avec les autres écoles, les entreprises et les organisations sociales et culturelles,
tant au niveau régional qu'extra-régional.
Pour notre part, nous sommes heureux d'avoir pu étendre la chaîne éducative à
la formation continue. Nous voulons remercier le professeur Michel Rousson qui
fut le premier délégué à la formation continue de notre université. Il a mis en
place la structure et lancé de nombreuses initiatives et programmes. Nous
tenons à lui dire notre reconnaissance. Sa tâche sera poursuivie par Mme Claudine
Rosselet-Christe. Nous la remercions d'avoir accepté cette fonction et nous
lui souhaitons beaucoup de succès. Nous aimerions ici relever que nous souhaitons
que la Confédération n'abandonne pas le programme de formation continue
en se déchargeant sur les universités (et les cantons) de cette tâche nationale.
En effet, au regard de leurs ressources financières, les universités devraient
abandonner la plupart des programmes.
C'est également le même souci de participer à la chaîne éducative qui nous a
amené à signer une convention de collaboration avec la future HES. Ici, aussi, la
gestion judicieuse des ressources exige une répartition des tâches et l'utilisation
partagée des équipements. A l'avenir, la collaboration sera d'autant plus intense
que l'on ne mettra pas les universités et les HES en concurrence pour les
ressources financières. Les universités et les HES ont des fonctions complémentaires.
Elles doivent pouvoir se comporter en partenaires et s'associer pour partager
des cours ou des équipements.
Toujours par rapport à la chaîne éducative, nous avons aussi eu la joie de contribuer
à la mise en place du cours sur l'Homme et le Temps qui a connu le succès
que vous savez. J'aimerais ici rendre hommage à l'artisan de cette initiative
M. Marcel Imhof, malheureusement trop tôt décédé. Mais nous savons que le
nouveau président de l'Institut l'Homme et le Temps, M. Michel Ditisheim, a à
coeur de continuer cette collaboration.
Deuxièmement, nous avons voulu imprimer des choix dans un certain nombre
de domaine d'excellence. Ainsi, par l'intermédiaire de la planification stratégique
nous avons sélectionné dans les facultés, un certain nombre de centres de gravités,
auxquels ont été consacré, dans la mesure du possible, davantage de ressources,
soit par restructuration interne dans les facultés, soit au fur et à mesure
des nouvelles ressources budgétaires.
En outre, nous avons voulu doter l'Université d'un moyen d'évaluer ses performances
et l'utilisation des moyens mis en oeuvre. Désormais, les diverses UER,
de notre université seront soumises à une évaluation périodique. C'est une nouveauté
qu'il nous plaît de relever, car nous sommes persuadé qu'elle permettra
de dynamiser les facultés, et par conséquent l'Université.
Enfin, nous avons élaboré un projet de nouvelle loi sur l'Université qui vient
d'être transmis au DIPAC. Il s'agit d'un projet qui résulte d'une large consultation
effectuée auprès des facultés, du sénat, de la FEN, du CR et du CE. C'est un dossier
que plusieurs rectorats se sont transmis, un peu comme au jeu de l'homme
noir.
J'ai la satisfaction d'en libérer mon successeur. Je dois ici remercier deux collègues
qui nous ont aidé dans cette entreprise: les professeurs André Schneider
et Alain Robert. Dans cette affaire, ils ont joué le rôle de «sages» en faisant la
synthèse des différentes propositions et des diverses options. Grâce à leur clairvoyance,
nous avons dépassionné les débats. Nous leur adressons notre plus
vive reconnaissance.
Troisièmement, nous avons pris l'option de développer la coordination avec les
autres universités. Notre optique était claire, il ne s'agissait pas de faire de la
coordination pour faire semblant, mais bien pour mieux utiliser les ressources et
les compétences. Ensuite, nous avons voulu être un des partenaires actifs de la
collaboration horizontale qui est essentielle dans une optique fédéraliste. Dans
ce contexte, en effet, les initiatives doivent venir d'en bas.
J'ai trop entendu dire que la concentration était le moyen le plus adéquat pour
faire des économies et améliorer la place universitaire suisse (qui soit dit en passant
n'est pas si mauvaise que cela) pour ne pas réagir. Je crois, en effet, qu'on
n'a pas assez souligné que la concentration entraînait automatiquement un
accroissement du personnel administratif et une diminution du nombre de lieux
où des initiatives peuvent être prises. Or, plus que jamais, nous avons besoin
que professeurs et chercheurs puissent prendre des initiatives rapidement
sans devoir subir le carcan d'une armée de fonctionnaires. La coordination
apparaît dès lors comme plus efficace que la concentration, qui rigidifie le système.
Nous voulons ici remercier tous les professeurs et les étudiants qui se sont
impliqués dans les conventions de coordination, notamment dans le cadre de
BENEFRI et pour certains d'entre eux dans le cadre de la CUSO. J'aimerais relever
que les professeurs ont joué le jeu loyalement acceptant d'aller donner des
cours/séminaires dans les universités partenaires sans rétribution supplémentaire,
mais bien entendu en étant déchargés dans leur université d'origine. C'est
la solution de l'avenir, car je ne saurais concevoir que la coordination soit un
prétexte à gagner de l'argent. Nous avons également poursuivi nos collaborations
avec les universités françaises voisines, notamment dans le cadre du
réseau CLUSE. Personnellement, je me réjouis de pouvoir m'impliquer davantage
dans ces contacts indispensables au développement de la région transfrontalière.
Enfin, et quatrièmement, nous avons voulu aussi renforcer nos liens avec la cité,
qui nous fournit l'essentiel de nos moyens mais à laquelle nous apportons aussi
notre contribution. Les liens avec notre milieu sont nombreux et multiples et les
soutiens sur lesquels nous pouvons compter sont fidèles. J'aimerais souligner
qu'au cours de ce rectorat notre souci et notre volonté ont été de faire profiter la
région des recherches entreprises à l'Université. C'est avec l'aide de SOVAR que
nous avons opéré et cela avec un certain succès. Nous devons aujourd'hui
remercier M. A. Beyner, président de SOVAR jusqu'à tout récemment, pour son
engagement et l'efficacité du concept de valorisation qu'il a mis en place. Nous
espérons que son oeuvre sera poursuivie. Les démarches entreprises par
M. Jean-Claude Fatton, nouveau délégué à la promotion économique endogène,
nous le laisse penser.
Par ailleurs, en signant la convention sur le Pôle microtechnique avec I'EPFL et le
CSEM, l'Université a clairement montré qu'elle entendait rester un acteur essentiel
dans le domaine des microtechniques.
Enfin, l'Université a choisi d'innover en offrant l'hospitalité à deux fondations
scientifiques désormais installées à Neuchâtel: la FSM (Forum suisse pour
l'étude des migrations) et le CIES (Centre international d'étude pour le sport).
Nous souhaitons beaucoup de succès à ces deux fondations qui oeuvrent dans
des domaines importants et d'avenir.
Ce n'est bien sûr pas sans un pincement de coeur que j'abandonne une fonction
aussi stimulante que celle de recteur. J'ai eu du plaisir à l'exercer. Mais, c'est
une fonction qui use tant il est vrai qu'il est difficile d'exercer longtemps deux
métiers. Mais comme vous pouvez le constater, je ne suis pas tout à fait usé, car
dans l'accomplissement de mes tâches, j'ai pu compter sur de nombreux soutiens,
et la compréhension et le dévouement de nombreux amis, tant à l'intérieur
qu'à l'extérieur de l'Université.
J'aimerais adresser des remerciements aux huit doyens qui ont été associés à
mon rectorat. Ils n'ont pas toujours eu la tâche facile, car les facultés ne sont pas
aisées à piloter. Je me plais à souligner que nous avons entretenu avec eux des
contacts fructueux et confiants.
Je tiens à dire à mes compagnons de route du rectorat, M.F. Persoz et P.L.
Dubied, le plaisir et l'intérêt que j'ai eu à travailler avec eux. J'avais décidé de
choisir des vice-recteurs ayant du caractère, je peux vous assurer que je n'ai pas
été déçu. Nous avons néanmoins réussi à former équipe, à rester soudés, ce qui
est essentiel dans une telle entreprise. J'ai également trouvé en P. Barraud un
secrétaire général attentif et prenant sa tâche très au sérieux. Au cours de ce rectorat,
il a malheureusement été atteint dans sa santé. Il est devenu plus prudent
dans ses efforts, mais son dévouement à notre Alma Mater reste sans faille.
Merci, chers compagnons de route.
Nous nous séparons, mais nous resterons liés par tout ce que nous avons vécu
au cours de ces quatre années. F. Persoz a repris le gouvernail avec P. Barraud.
P.-L. Dubied a trouvé un nouvel intérêt dans la lointaine Sibérie et moi-même je
bénéficie d'une période de ressourcement (pour utiliser une expression québécoise).
Un nouveau rectorat est entré en fonction. F. Persoz a accepté dans la tradition
neuchâteloise, d'assumer en quelque sorte la continuité. J'aimerais lui dire mes
voeux et l'encourager à rester lui-même: constant, généreux, soucieux d'être
impartial et tellement sympathique. Mon cher Francis, tu vas devenir un recteur
de référence car, tu seras le dernier recteur de ce millénaire et rien ne t'empêche
de devenir le premier du millénaire suivant. Accompagné de Daniel Haag et
Denis Miéville, tu pourras compter sur des amis fidèles et compétents. D. Haag,
discret et efficace, pourra te faire bénéficier de ses connaissances des milieux
économiques et du foie gras des Landes. Denis Miéville consciencieux, précis,
n'aura logiquement pas de peine à te faire comprendre que la logique de la
Faculté des lettres n'est pas celle de la Faculté des sciences.
En tant que recteur sortant j'aimerais relever que le doyen D. Miéville a montré
beaucoup de courage dans ses décisions, car il a eu à gérer des situations difficiles
dans sa faculté. Malgré les pressions dont il a été l'objet, il a su conserver la
clairvoyance nécessaire à l'accomplissement de sa tâche.
J'aimerais aussi dire aux deux conseillers d'Etat avec lesquels j'ai travaillé (les
deux Jean), Jean Cavadini et Jean Guinand, combien j'ai apprécié la confiance
qu'ils m'ont témoignée et la constance de leur soutien à l'Université.
A vous, et à travers tous, Mesdames et Messieurs, j'aimerais adresser ma reconnaissance
à toutes celles et à tous ceux qui aident et encouragent notre université
et qui l'honorent de leur affection.
Que vive l'Université de Neuchâtel.
D. Maillat