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DIES ACADEMICUS 1976 PRIX ET CONCOURS

LIBRAIRIE PAYOT
LIBRAIRIE DE L'UNIVERSITÉ
LAUSANNE 1977

DISCOURS DE M.

DOMINIQUE RIVIER, PROFESSEUR,

RECTEUR DE L'UNIVERSITÉ

Monsieur le Conseiller d'Etat,

Ne vous arrive-t-il jamais, aux rares heures de loisir que vous laissent encore vos responsabilités de magistrat, de songer avec envie au sort de vos prédécesseurs des années soixante? La belle époque que c'était pour un chef de Département de l'instruction publique!

Véritable panacée sociale à tous les niveaux et sous toutes ses formes, l'éducation avait alors la faveur de l'opinion comme des politiques, ministres des finances compris. Le sujet touchait les foules et suscitait les plus grandes espérances. L'école secondaire gratuite et universelle, l'Université offerte à tous, le droit à la formation, autant de chevaux de bataille pour les campagnes électorales, d'autant plus sûrs que les enfourcher c'était sonner le ralliement de toutes les forces du progrès. En ce temps-là, d'ailleurs, il suffisait en général d'annoncer ou de planifier des réformes, car le temps manquait pour les mettre en pratique. Pas d'inquiétude non plus du côté du marché de l'emploi: les maîtres étaient engagés avant même d'avoir obtenu leur licence.

Seuls quelques directeurs d'établissements scolaires avaient le front soucieux, contraints qu'ils étaient de courir au plus pressé devant la montée des effectifs: tel confiait l'enseignement de l'anglais à un pasteur retraité, alors que tel autre faisait appel au maître de gymnastique pour enseigner le chant, quand ce n'était pas la géographie ou la comptabilité.

Et puis il y a quelques années, soudainement, les choses ont changé. L'éducation n'est plus le sujet qui fait recette, car la société a trouvé de nouveaux thèmes pour nourrir ses emballements et d'autres secteurs où exercer sa générosité. il ne suffit plus de prévoir

les réformes scolaires, il faut les mettre en oeuvre. Avec cet inconvénient que les caisses de l'Etat ne sont plus aussi garnies: les responsables des deniers publics font grise mine, quand bien même il est question de construire un collège. Quant aux enseignants, s'ils ne sont pas encore réduits, tel le phrénologue Craniose, «à composer un livre pour vivre», pour eux aussi le temps est venu de songer à l'avenir. Et maintenant que les maîtres ne manquent plus, ce sont les élèves qui commencent à faire défaut dans les classes enfantines! Quand ce ne sont pas les patients dans les hôpitaux universitaires, au point que des étudiants en médecine font aujourd'hui la queue pour suivre l'enseignement du maître au lit du malade!

Tout cela pour vous dire, Monsieur le Conseiller d'Etat, que l'Université sait les responsabilités très lourdes qui pèsent aujourd'hui sur vos épaules, et qu'elle se félicite de constater que vous les avez larges et solides, pour le plus grand bien du Pays.

En ce qui la concerne, l'Université ne demanderait pas mieux que d'alléger le poids de vos préoccupations. Mais vous le savez bien: en dépit des apparences peut-être, l'Université, elle aussi, doit faire face à une situation de plus en plus difficile et les années qui viennent s'annoncent comme particulièrement ardues. En ce jour d'installation officielle, le Rectorat manquerait à son devoir si, après vous avoir témoigné sa reconnaissance de tout ce que vous avez fait et faites pour l'Université, particulièrement pour son autonomie, il ne vous exposait point, en même temps qu'à tous les amis de notre Maison ici présents, les sujets de préoccupations qui sont les siens en cette fin d'année 1976.

Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs les membres du Sénat, Mesdames, Messieurs les membres du corps enseignant, mes chers collègues, Mesdemoiselles les étudiantes, Messieurs les étudiants, Mesdames, Messieurs,

Installé ici même pour la première fois il y a huit ans, le Rectorat avait été mis en place en vertu de l'arrêté du Conseil d'Etat du 4 juin 1968. Le texte précisait: «Les membres du Rectorat resteront en fonction jusqu'à la promulgation de la future loi sur l'Université». Or, mise en chantier en 1964 déjà, cette loi n'a pas encore vu le jour, au point qu'à certains elle paraît se faire décidément bien attendre! A ces esprits inquiets, soucieux d'efficacité sans doute, il est possible de faire deux remarques. La première est que, s'il est constant que légiférer est affaire délicate, cela est deux fois vrai lorsqu'il s'agit d'une institution aussi complexe que l'Université, et lorsqu'il faut se déterminer en pleine période de changement, sinon de crise: à rédiger hâtivement, l'on s'expose à figer dans les textes une situation qui, demain déjà, pourrait être dépassée! La seconde remarque est que, précisément dans les temps changeants que nous vivons, il n'est peut-être pas mauvais de laisser à d'autres, plus convaincus et mieux armés sans doute, le soin de faire l'essai de solutions contestables. Au reste, pas plus que l'être humain, l'Université ne saurait être tenue pour un champ d'expériences, livré à la sagacité gourmande des sociologues et autres politologues de notre temps.

En tout état de cause, il n'est pas possible aujourd'hui déjà de donner un avis sur le quatrième avant-projet de loi sur l'Université récemment soumis à consultation par le Département de l'instruction publique et des cultes. Interpellée avec d'autres, l'Université réfléchit. Répondre tout de suite serait pour le moins prématuré.

Il en va de même pour le projet de loi fédérale sur l'aide aux hautes écoles et à la recherche que le Département fédéral de l'intérieur a présenté à la presse il y a quinze jours à peine. Si important que soit ce texte pour l'avenir des hautes écoles de la Suisse, et

notamment pour l'Université de Lausanne, le moment n'est pas encore venu pour elle d'exprimer un avis.

En revanche, beaucoup plus nécessaire et plus urgent paraît être de faire le point sur l'état de notre Université, face au canton qui l'entretient d'abord, aux autres hautes écoles de la Confédération ensuite. Ce sera l'occasion de découvrir que, considérée dans ses tendances passées comme dans ses perspectives d'avenir, cette situation est moins rose qu'il y paraît et qu'un nouvel examen des priorités s'avère aujourd'hui indispensable.

Examinons pour commencer les tendances qui caractérisent le développement récent de notre Université, vue de son canton. Ce canton qui, depuis près d'un siècle qu'il a transformé l'Académie de Lausanne en Université, a fait preuve envers elle de sollicitude et de générosité.

Dans cet examen, force est de se limiter aux années récentes pour lesquelles existent des données relativement sûres; c'est le cas depuis 1968. Au surplus, le but n'est pas de porter un jugement sur la qualité de la recherche et de l'enseignement tels qu'ils sont conduits actuellement dans les facultés et écoles — à vrai dire une telle appréciation ne saurait intervenir à bon escient que d'ici plusieurs années: l'Université travaille à long terme et c'est aux fruits seulement qu'il faut juger l'arbre. Il s'agit plutôt d'examiner comment, depuis 1968, ont évolué les conditions dans lesquelles travaille l'Université.

Il existe entre autres trois critères qui permettent de cerner l'évolution de ces conditions: l'encadrement des étudiants, le nombre relatif des enseignants à plein temps et la masse des crédits consacrés de façon prioritaire à l'enseignement et à la recherche.

Le taux d'encadrement des étudiants est défini comme le nombre moyen d'enseignants pour cent étudiants. Il sert à évaluer l'ampleur de l'aide personnelle que les professeurs et leurs collaborateurs sont en mesure d'accorder aux étudiants. Or, depuis huit ans, ce taux a nettement augmenté, passant de cinq à six et demi. C'est dire

qu'aujourd'hui l'Université compte en moyenne un enseignant pour quinze étudiants, alors qu'il y a huit ans il n'y en avait qu'un pour vingt. Amélioration d'autant plus réjouissante que durant ces huit dernières années le nombre des étudiants a augmenté de moitié environ.

D'une façon générale, il y a, à l'Université, une grande différence entre l'enseignant qui consacre tout son temps à ses fonctions et celui qui n'y travaille qu'à temps partiel, si indispensable que soit ce dernier pour la vie des facultés. Le premier se sent lié au sort de l'Université, de sa faculté ou de ses étudiants, auxquels il lui paraît naturel et normal de se dévouer. Quand bien même cette consécration existe parfois chez le second, il n'est pas possible de la demander au médecin, à l'avocat ou à l'homme d'affaires qui, une heure par semaine, dépose ses préoccupations professionnelles à la porte d'un auditoire pour enseigner une poignée d'étudiants. D'où l'importance d'une valeur suffisante pour le taux des enseignants à plein temps, rapport du nombre des enseignants donnant tout leur temps à l'Université au nombre total des enseignants. Ce taux a, lui aussi, augmenté ces huit dernières années, atteignant aujourd'hui la valeur demie. C'est ainsi qu'à ce jour, sur les quelque 450 enseignants que compte l'Université, plus de 220 lui consacrent tout leur temps.

Quant au troisième critère, le taux des crédits pour l'enseignement et la recherche, il correspond à la fraction des dépenses totales de l'Université qui est exclusivement affectée à l'équipement de la recherche et de l'enseignement avancé. Là encore c'est une évolution favorable qui est à souligner: au cours des huit dernières années ce taux a passé de 4 à 12%environ. Cela en dépit du fait que durant la même période les dépenses totales de l'Université ont elles-mêmes plus que doublé. Ainsi, en huit ans, nos professeurs et leurs collaborateurs ont vu quadrupler les moyens qui sont effectivement mis à leur disposition par 1'Etat pour l'enseignement avancé et la recherche.

Il existe encore un quatrième critère qui permet d'apprécier les conditions de travail à l'Université: c'est la surface des locaux occupés par les étudiants, les professeurs et leurs collaborateurs. II y a dix ans déjà, l'évolution souhaitable de ces surfaces avait été

étudiée avec beaucoup de soin par la Communauté de travail pour la mise en valeur des terrains de Dorigny. Les résultats de cette étude sont consignés dans le rapport et résumés dans le plan directeur que la Communauté a déposés au mois de juin 1967.

Suivant ce plan directeur —adopté la même année par le Conseil d'Etat et le Grand Conseil — il était prévu de mettre dès 1977 à disposition de l'Université —Faculté de médecine exceptée —plus de cent vingt mille mètres carrés de surface: c'était la première étape de la nouvelle cité universitaire à Dorigny.

Or là, il faut bien le constater, les choses n'ont pas évolué de façon aussi favorable. Certes, avec le Collège propédeutique et le bâtiment des sciences physiques aujourd'hui occupés par la Faculté des sciences, avec le Bâtiment des facultés des sciences humaines qui sera inauguré l'automne prochain, l'Université disposera à Dorigny de trois instruments de travail de tout premier ordre. Le Rectorat est heureux de remercier publiquement le Comité directeur du Bureau de construction de l'Université de Lausanne-Dorigny et particulièrement son président, M. Emmanuel Faillettaz, de la qualité exemplaire des constructions édifiées en Dorigny.

L'avis est unanime de tous ceux qui, industriels, professeurs, architectes, étudiants ou recteurs, sont venus de l'extérieur pour quelques heures ou quelques mois à Dorigny. Réalisme dans les objectifs, simplicité et originalité dans la conception, économie des moyens et intégration au site, tels sont les caractéristiques qui, à chaque fois, frappent le visiteur. On est bien loin ici des «universités de prestige» chères aux pays totalitaires, n'en déplaise à quelques esprits chagrins, mal informés et qui informent mal. Que ces ignorants veuillent bien faire un tour au nouveau centre de l'Ecole polytechnique fédérale près de Zurich. Sans sortir de Suisse, ils pourront apprécier le contraste et constater qu'il y a loin de la fruste apparence des structures métalliques du Collège propédeutique de Dorigny à la rutilance des fontaines en marbre des palais du Hönggerberg!

Toutefois, même à l'Université, la qualité ne saurait tenir lieu de quantité. Si satisfaisants qu'ils soient à tout point de vue, les trois bâtiments de Dorigny n'offriront l'an prochain que le tiers

à peine des surfaces que, selon le plan directeur initialement adopté par les autorités politiques, l'on avait jugé nécessaire de mettre à la disposition de l'Université en 1977.

C'est le lieu de signaler que les prévisions faites par la Communauté de travail et relatives au nombre probable des étudiants se révèlent aujourd'hui singulièrement exactes. Le plan directeur avait prévu 2730 étudiants pour les facultés des sciences humaines en 1976. A ce jour, ces facultés en dénombrent un peu plus de 2750! C'est ainsi que le premier bâtiment destiné à abriter la moitié des facultés et écoles des sciences humaines avait été conçu et construit pour un premier contingent de 1600 personnes. Toutefois, conséquence du retard dans l'application du plan directeur, il devra en accueillir effectivement plus de 1700 dès l'automne prochain, avec la Faculté de droit, l'Ecole des hautes études commerciales et trois sections de la Faculté des lettres. Ainsi le bâtiment sera plein le jour même de son ouverture.

Mais revenons à l'Université dans son ensemble. Admettons pour un instant —l'instant d'un rêve —que les autorités s'en soient tenues au rythme de construction tel qu'il est proposé dans le plan directeur de 1967. La première étape serait terminée l'an prochain déjà: ce ne serait pas un tiers de l'Université, mais toute l'Université —Faculté de médecine mise à part —qui, en 1977, achèverait ainsi son transfert à Dorigny!

Il n'est pas question de revenir sur les considérations de politique générale qui, il y a six ans, ont conduit le Gouvernement à renoncer à donner la priorité aux investissements à Dorigny. En tant que service d'utilité publique, l'Université se doit de donner l'exemple et accepter de soumettre son avenir aux exigences de l'intérêt général du pays. C'est précisément pour cette même raison qu'aujourd'hui il est de son devoir de faire connaître les conséquences du choix qui a été arrêté dès lors que, par leur ampleur, ces conséquences n'intéressent plus seulement l'Université, mais le pays tout entier.

Il convient ici de le dire tout net: l'ampleur du retard accusé par les constructions à Dorigny, relativement au plan directeur de 1967 tel qu'il avait été initialement adopté par le Gouvernement et le

Parlement, l'ampleur de ce retard place l'Université de Lausanne dans une situation chaque jour plus critique.

Depuis la mise en fonction du Collège propédeutique, c'est-à-dire depuis six ans, la Faculté des sciences se trouve comme coupée en deux: la quasi-totalité de ses laboratoires pour l'enseignement avancé et la recherche sont restés dispersés dans la Cité, alors que le gros des étudiants est à Dorigny. 11 est évident que cet éparpillement entraîne des pertes de temps considérables et d'inutiles fatigues: à l'Université tout enseignant doit faire de la recherche et il faut en moyenne une demi-heure pour se rendre d'un laboratoire de la Cité dans un auditoire de Dorigny. Par le gaspillage d'un nouveau genre qu'elle implique, la coupure dont souffre la Faculté des sciences porte en soi un grave préjudice à l'enseignement comme à la recherche. A quoi s'ajoute le fait qu'au fil des années, l'accroissement continu des effectifs a provoqué dans la plupart des instituts restés à la Cité un manque aigu de place qui rend encore plus funeste le caractère vétuste des équipements de base. Il va de soi qu'une telle dégradation des conditions de travail dans certains laboratoires de la Cité ne saurait être tolérée longtemps sans qu'une atteinte fatale soit portée aux activités essentielles d'enseignement et de recherche à la Faculté des sciences.

Or l'état de dispersion des divers éléments de l'Université va s'aggraver encore l'an prochain lorsque la Faculté de droit, l'Ecole des hautes études commerciales et trois sections de la Faculté des lettres auront occupé leur nouveau bâtiment. Certes, pour chacune d'elles, la plupart des conditions de travail seront considérablement améliorées par le transfert à Dorigny, mais il reste qu'à leur tour les facultés et écoles des sciences humaines, et particulièrement la Faculté des lettres, se trouveront dispersées entre la Cité et Dorigny. Comparée à la situation de la Faculté des sciences qui vient d'être évoquée, celle des facultés et écoles des sciences humaines ne sera guère meilleure, au contraire. Car le principal instrument de travail de ces facultés et écoles, c'est la Bibliothèque cantonale et universitaire qui leur tient lieu de laboratoire commun en quelque sorte. Si l'on songe à la multiplicité et à l'ampleur des services que la Bibliothèque rend à l'enseignement comme à la recherche, on mesure le

handicap que constitue l'éloignement, à plusieurs kilomètres de Dorigny, de la Bibliothèque universitaire. Il s'agit là d'une conséquence fâcheuse de la dispersion qui durera jusqu'à ce que toutes les facultés et écoles de l'Université soient réunies à Dorigny, avec tous leurs laboratoires, instituts et bibliothèques, Bibliothèque centrale universitaire comprise.

Mais ce n'est pas tout. Il se trouve que les effets du gaspillage de temps et d'énergie, qui existeront tant que durera le déménagement, il se trouve que ces effets atteignent les facultés et écoles précisément dans la période où elles souffrent déjà d'un mal analogue, propre à toutes les universités modernes. Il s'agit de l'érosion du temps disponible pour les activités de recherche et d'enseignement, érosion causée par l'accroissement général des tâches administratives dans l'Université. Or, cumulés et prolongés, les effets néfastes du transfert et de l'érosion du temps par l'administration s'amplifient les uns les autres — les nécessités d'un transfert qui se prolonge accroissent les charges administratives et les nécessités de l'administration compliquent le transfert —si bien que, peu à peu, c'est toute l'institution universitaire qui est mise en péril par un déménagement qui dure trop longtemps. Au point que certains instituts, voire certaines facultés, pourraient ne plus être en mesure de s'acquitter à satisfaction de leur mission.

On le voit: le seul moyen de rétablir une situation qui se dégrade chaque jour davantage, c'est d'achever vite et bien le déménagement de toute l'Université à Dorigny.

En adressant aujourd'hui cette requête à 1'Etat, l'Université sait qu'elle demande du même coup la révision de l'ordre des priorités qui a été fixé il y a quelques années pour les investissements dans le canton. Elle s'y résout pourtant, après mûre réflexion. Elle estime en effet que, dans la conjoncture actuelle, tout doit être entrepris pour éviter que se prolongent indéfiniment et indûment le gaspillage et la dégradation des conditions de travail consécutives à un transfert qui traîne.

Mais il y a plus. En prenant la décision d'achever rapidement le déménagement de l'Université à Dorigny, l'Etat de Vaud renforcerait fort heureusement la position qu'il a adoptée dans le concert

— ou plutôt le tohu-bohu —de la politique universitaire «suisse». Et cela sur deux points. Premièrement ce serait répondre de la meilleure façon aux critiques de ceux —et ils existent des deux côtés de la Sarine —qui estiment insuffisants les efforts que le canton de Vaud a consentis ces dernières années en faveur de l'enseignement supérieur. Secondement, ce serait participer de façon raisonnable à l'action indispensable entreprise sur le plan suisse en vue d'adapter les capacités d'accueil des universités à la demande de places d'études, demande qui, selon tous les pronostics, restera très forte durant les dix prochaines années.

Les deux points sont d'importance: il vaut la peine de les examiner de plus près.

On obtient une idée des efforts fournis par le canton de Vaud dans le domaine de l'enseignement supérieur en consultant les comptes de l'Etat les dix dernières années pour lesquelles des statistiques sont disponibles, à savoir les années 1964 à 1974. On y trouve notamment les dépenses annuelles globales du canton pour l'Université, réparties en dépenses d'exploitation et en dépenses d'investissement. Pour permettre des comparaisons recevables sans avoir à faire intervenir la dépréciation de la monnaie, il est commode d'exprimer ces dépenses en pour-cent des dépenses totales du canton. Au surplus, deux précautions sont à prendre: en premier lieu, il est nécessaire d'inclure dans les dépenses les sommes consacrées à l'ancienne EPUL jusqu'en 1968, date de la reprise par la Confédération de l'Ecole polytechnique. En second lieu, il faut y ajouter la «part universitaire» des dépenses pour l'Hôpital cantonal, devenu Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV) en 1975 1.

Tous ces regroupements faits, l'analyse de l'évolution des dépenses consenties par le canton en faveur de son Université entre 1964 et 1974 peut être résumée ainsi. Calculées en pour-cent des dépenses globales du canton, les dépenses d'exploitation pour l'enseignement supérieur ont passé de 3,4 % en 1964 à 6 % en 1974.

Il faut souligner le poids d'une augmentation qui a favorisé les indispensables rattrapages. L'Université se plaît à dire publiquement sa reconnaissance aux autorités politiques, et particulièrement à MM. les conseillers d'Etat Jean-Pierre Pradervand et Raymond Junod.

Les dépenses d'investissement, en revanche, marquent une très nette diminution, passant de 6,4 % en 1964 à 2,4 % en 1974. Et si l'on fait abstraction de la part des investissements pour le Centre hospitalier universitaire vaudois qui, tout bien considéré, ne concernent que de façon indirecte une petite partie de l'Université — 500 étudiants sur 4500, cela fait un neuvième —la décroissance est plus marquée encore. C'est ainsi qu'entre 1964 et 1974, en pourcent des dépenses totales de l'Etat, les dépenses d'investissement pour l'Université seule ont diminué de 6,4 % à 0,5 %... Une réduction d'un facteur 13, et cela bien que le transfert à Dorigny ait commencé en 1968!

Comment ne pas comprendre ceux qui, face à ces chiffres, parlent de l'Université abandonnée?

Quoi qu'il en soit, cette décroissance impressionnante n'est que la traduction, en chiffres, de la décision prise par l'Etat de s'écarter des recommandations de la Communauté de travail.

Ces chiffres sont d'ailleurs confirmés par les résultats d'une étude récemment conduite en Suisse romande. Cette étude compare entre elles les dépenses faites en faveur des universités par les cinq cantons de Bâle, Berne, Genève, Vaud et Zurich. Certes, il faut être prudent dans la comparaison entre universités, parfois fort disparates. Il convient cependant de noter que les cinq universités choisies sont parmi les mieux comparables. Toutes les cinq sont des universités «complètes» en ce sens que, à côté des facultés traditionnelles de théologie, droit, sciences économiques et sociales, lettres et sciences, chacune d'entre elles abrite une faculté de médecine. Au surplus, pendant la période considérée, qui va de 1968 à 1974, elles ont connu pratiquement le même taux de croissance des effectifs d'étudiants: 6 à 7 % par an 1.

La conclusion commune à toutes ces analyses est simple. Au cours des dix dernières années, alors que pour l'ensemble des grandes universités les cantons ont augmenté leur effort de plus de 2 % par rapport au total de leurs dépenses, le canton de Vaud, lui, a réduit de 1 à 2 % ce même effort en faveur de son Université (dépenses pour l'EPUL et le Centre hospitalier universitaire vaudois comprises). Pour le canton de Vaud, la diminution vient essentiellement du fléchissement spectaculaire observé dans les investissements universitaires.

Bien sûr, il est possible de se réconforter en reprenant le mot de cet homme d'Etat des années quarante qui, répondant aux critiques lui reprochant le retard accusé par son pays dans le domaine de l'éducation, s'était ingénument écrié: «Mais ce n'est pas nous qui sommes en retard, ce sont les autres qui sont en avance!»

Mais venons-en maintenant au second point, c'est-à-dire l'opportunité qu'il y aurait, pour le canton de Vaud, de se joindre à l'action visant à faciliter l'accueil par les hautes écoles du pays des futurs étudiants suisses, et notamment de ceux qui viendront des cantons sans université.

Voici la situation: plusieurs études, conduites de divers côtés, permettent d'affirmer que d'ici 1985 il faudra trouver place pour 20000 étudiants de plus dans les hautes écoles de Suisse. Il s'agit d'une augmentation du nombre des étudiants de 4 %par an environ. Ce taux d'augmentation —qui est de 2 à 3 % inférieur à celui des dernières années —n'est pas le résultat d'estimations superficielles. C'est une évaluation qui, pour l'essentiel, repose sur deux faits difficilement contestables. Le premier est l'effectif des élèves suivant actuellement les classes de l'enseignement secondaire supérieur. Le second tient en ceci que, pendant plusieurs années encore, le

baccalauréat et le diplôme de maturité ne mèneront pratiquement qu'à l'Université 1.

Il faut donc accepter la nécessité qu'il y aura pour les hautes écoles de Suisse de recevoir ces quelque 20000 étudiants supplémentaires d'ici huit à dix ans. Cela pose, de façon aiguë, le problème de l'évaluation des places disponibles dans nos universités. Relativement facile à faire pour les écoles polytechniques, les facultés des sciences et les facultés de médecine, cette évaluation est beaucoup plus délicate dans les facultés et écoles des sciences humaines. Or, selon toute probabilité, c'est précisément dans ces facultés que la demande de places d'études sera la plus forte. Et il ne fait aucun doute que les capacités actuelles ne suffiront pas. Que l'on songe au cas de l'Université de Lausanne, par exemple. Il importe donc d'ajuster ces capacités à la demande d'ici 1985.

Il y aurait bien la solution radicale du numerus clausus. Mais comment accepter l'aspect fondamentalement critiquable du procédé qui consisterait à encourager, généreusement et des années durant, des jeunes gens à préparer leur entrée à l'Université pour ensuite leur claquer la porte au nez sous le prétexte qu'il n'y a plus de place? Au surplus, les bases juridiques et politiques indispensables à l'introduction d'un numerus clausus font défaut dans la grande majorité des cantons. Enfin il y a les difficultés quasi insurmontables rencontrées dans la mise au point sur le plan suisse d'une procédure qui permettrait, en cas de besoin, de limiter l'accès aux études de médecine; et surtout la résurgence, à cette occasion, d'un fédéralisme «défensif»: il se trouve aujourd'hui des cantons pour réclamer, en matière d'accès à l'université, une discrimination entre citoyens suisses! Tout cela, vous le voyez, rend très improbable l'introduction d'un numerus clausus généralisé en Suisse ces prochaines années.

C'est dire qu'en définitive les universités cantonales vont devoir, bon gré mal gré, accueillir dans une dizaine d'années quelque

20000 étudiants de plus qu'aujourd'hui, étudiants dont une partie importante viendra des cantons sans université. Et l'on ne voit pas très bien comment le canton de Vaud et son Université pourraient ici refuser de faire leur part. Bien au contraire, noblesse oblige. La position de fermeté prise par ce canton en matière de politique universitaire — notamment lors des consultations qui ont précédé la mise au point du récent projet de loi fédérale sur l'aide aux universités et à la recherche — cette position de fermeté paraît lui faire un devoir de jouer le vrai jeu du fédéralisme, celui qui ne sépare pas le «un pour tous» du «tous pour un».

Il est temps de conclure.

En prenant dès maintenant toutes les mesures pour que soit achevé rapidement le transfert de l'Université à Dorigny, le canton mènerait — somme toute à peu de frais, le coût de 10 kilomètres d'autoroute! — une opération intéressante à plus d'un titre puisqu'en un seul coup seraient atteints les cinq objectifs suivants:

1. Réaliser une économie substantielle des dépenses d'exploitation de l'Université par la diminution du gaspillage de temps et d'énergie, conséquence de la dispersion.

2. Obtenir une amélioration rapide de la qualité de l'enseignement et de la recherche dans les facultés et écoles, grâce à la concentration optimale des moyens.

3. Renforcer la position du canton de Vaud et de son Université dans le jeu de la politique universitaire suisse, au moment décisif où se produit une redistribution des responsabilités entre la Confédération et les cantons.

4. Contribuer de manière substantielle à l'effort de solidarité confédérale envers les cantons qui n'ont pas d'université.

5. Enfin réaliser un investissement de haute rentabilité à long terme. Comment, dans un pays qui compte tant sur sa matière grise pour survivre, comment ignorer qu'une université de qualité reste la meilleure source de prospérité spirituelle et matérielle?

Certes, en période de conjoncture incertaine, l'achèvement rapide du déménagement de l'Université à Dorigny est une opération qui demande de l'audace, de la détermination et du savoir-faire. Mais ne dispose-t-on pas actuellement du meilleur atout? Avec ses collaborateurs, le Comité directeur du Bureau de construction de l'Université de Lausanne-Dorigny ne forme-t-il pas une équipe éprouvée, dont les réussites se sont imposées bien au-delà du canton?

Monsieur le Conseiller d'Etat, Mesdames, Messieurs,

Au siècle passé, deux hommes, grâce à l'ambitieuse passion qu'ils ont nourrie pour leur pays, grâce à l'esprit d'entreprise qu'ils ont mis au service d'une grande idée, grâce enfin au courage qui leur a permis de triompher des sceptiques, des prudents et des médiocres, deux hommes sont parvenus à transformer une modeste académie de province en une Université complète qui, aujourd'hui, rayonne bien au-delà de nos frontières.

Saurons-nous relever le défi que, par-delà le temps, nous lancent aujourd'hui Louis Ruchonnet et Eugène Ruffy?