DISCOURS DE M. COMBE
Recteur entrent en charge.
MESDAMES, MESSIEURS,
Comment répondre aux paroles si aimables que
vient de prononcer à mon sujet M. le chef du Département
de l'instruction publique et des cultes en
m'installant dans le poste très honorable du rectorat
pour les années 1896 à 1898? Je serais confus et
tremblant, si je n'avais la certitude, que m'ont exprimée
mes prédécesseurs et mes collègues, de rencontrer
en haut lieu l'intérêt le plus sympathique que
n'ont cessé de porter à notre Université MM. les
conseillers d'Etat qui s'en sont occupés et qui, personne
n'en doute, emploieront le meilleur de leur
influence à son maintien, à son développement.
Car, nul d'entre vous, mesdames et messieurs, ne
l'ignore, il ne suffit pas d'un changement de nom
pour transformer et faire vivre une institution académique.
Les récents et sérieux débats qui ont eu lieu
dans cette enceinte, ont attesté une fois de plus les
sacrifices financiers qu'exige l'établissement universitaire
et combien, tant pour les locaux que pour
l'enseignement qui s'y donne, il est indispensable
qu'un pays comme le nôtre ait en réserve un fonds
d'entretien. Ainsi l'ont compris ses généreux donateurs,
les Gabriel de Rumine, les Follope, les Bornand,
les Bippert, les Schnetzler, qui, à leur manière,
pratiquement, nous rappellent la nécessité de
contribuer à augmenter les ressources de notre
Ecole, puisque, à la bien considérer, une telle Ecole
est l'une des gloires de la nation, et qu'un canton
qui a le bonheur d'en posséder une, doit avoir la
sagesse de ne laisser perdre aucune occasion de la
fortifier par la bienvenue, comme aujourd'hui, de
nouveaux professeurs ordinaires, et même matériellement.
En consolidant ses moyens d'existence, vous
appuyez les bases mêmes de l'édifice social dans ses
parties les plus utiles et les plus saines. De l'Université,
qui fournit à la société ses architectes et ses
ingénieurs, ses mathématiciens et ses naturalistes,
ses chimistes et ses physiciens, ses médecins et ses
juristes, ses professeurs et ses pasteurs, provient
aussi cette culture idéale, variée, suggestive, profonde,
entraînante, qui s'empare de l'éducation générale,
la régénère et l'ennoblit de proche en proche.
Etre appelé à la direction de I'Université vaudoise,
en être l'interprète autorisé au dehors comme devant
vous, mesdames et messieurs, est un honneur sans
doute, mais autrement périlleux que celui de l'exégète
en face de ses textes, qu'il finit par comprendre
et expliquer à sa façon. S'il n'avait été question
que d'accepter un titre honorifique, je l'aurais décliné
en faveur de plus méritants. Il s'agissait d'un devoir,
dont je sens toute la responsabilité, et il y aurait
eu ingratitude et désertion de ma part à m'y soustraire,
à mon rang et selon l'ordre de marche de nos
Facultés et de nos années de service.
D'ailleurs, je ne l'oublie pas, nous sommes en république,
particulièrement dans le domaine des sciences
et des lettres, où règne l'indépendance la plus complète,
où nous avons chacun nos obligations, où
nous ne manquons pas de recourir à nos lumières
communes, où je ne suis, par conséquent, et dans
quelques circonstances, qu'un premier entre des
égaux, primus inter pares. C'est bien moins un
sceptre qu'un flambeau que, conformément à la
nature des choses, les recteurs, semblables aux
coureurs antiques, se transmettent et se confient.
Et, quasi cursores, vitae lampada tradunt.
Nous nous en souviendrons spécialement avec
vous, messieurs les étudiants. A vous, de votre côté,
de faciliter notre tâche en vous pénétrant des
vaillantes pensées de vos maîtres, vos frères aînés,
qui désirent vous dispenser le plus libéralement
possible l'aliment intellectuel de notre Alma Mater
Lausannensis. A vous d'avoir de plus en plus le sentiment
des charges viriles qui vous incombent en
votre qualité de citoyens éclairés. Au travers de vos
luttes, des difficultés inhérentes à vos recherches,
à vos acquisitions personnelles de savoir, à vous
de ne jamais désespérer, de ne point rejeter lâchement
sur vos voisins ou sur les événements vos mécomptes,
de retenir ferme au dedans de vous cette
réflexion que le tragique grec Sophocle, au plus vif
des combats d'OEdipe avec la fatalité, a eu soin de
relever dans la conscience humaine: Il n'est pas
permis de dire ce qu'il n'est pas beau de faire. A
vous, jeunes gens, instruits des obstacles à franchir
et munis à cet effet, d'être heureux et forts de l'encouragement
du vieux poète sémite, quand, levant
les yeux vers les montagnes et se demandant:
D'où viendra le secours?
il entend cette réponse, qui est la mienne:
- Le secours vient de l'Eternel.
L'Eternel gardera ton départ et ton arrivée.
Il gardera ton âme.
A vous, pour me résumer en un mot, qui est de
votre âge et du nôtre, d'apprendre à marcher vers
les cimes, loin des ornières et des abîmes, par degrés,
avec suite, et non par sauts, par bonds, ce qui ne
convient qu'aux moutons, et encore! à vous, comme
à nous tous, d'aller et d'attirer sûrement per gradum
ad altum, en avant et en haut!